mercredi 28 mai 2025

Parent de

dessin d'une tête sur des épaules sous forme de silhouette, avec un point d'interrogation dessus

S'il y a un rôle que je n'avais pas anticipé en devenant parent, c'est celui de secrétaire. Pourtant, c'est une position qui prend pas mal de place dans le quotidien. Untel m'a invité chez lui, Unetelle veut que je vienne à son anniversaire, tiens maman, voilà l'invitation !
Sur le papier, il y a un numéro.
Et pas d'autre prénom que celui de l'enfant.
Me voilà dans la situation (que je trouve) inconfortable d'envoyer un message à un·e inconnu·e.
“Bonjour, [Prénom de mon enfant] sera ravi·e de venir chez [Prénom de son enfant] ! Quel cadeau pourrait lui faire plaisir ?”
Et puis je signe, en espérant que je recevrai aussi un prénom d'adulte en réponse.
Espoir hélas le plus souvent déçu, le retour ressemblant plutôt en général à “Super ! [Prénom de mon enfant] adore [les Legos, les Pokémons...]. À bientôt !
Voilà pourquoi mes contacts sont surpeuplés de “P” comme “Parent de” [Prénom de l'enfant], des gens dont j'ignore le prénom, alors même qu'on s'est échangé invitations et photos de nos enfants.
Et j'ai horreur de ça.

samedi 24 mai 2025

Incongru

Des gouttes de pluie tombent sur une surface où on voit des carreaux.

Dans ma région, le mois précédent a été sec. Très sec. Record de sécheresse depuis les années 1950, de fait.

Ce matin je me suis levée au doux son des gouttes sur le toit chez moi.

Je me suis rappelé que la voiture était un peu crasseuse (faut dire que ça fait des années que je ne m'en souciais pas).

Pour conclure, si vous voyez quelqu'un dans la rue qui lave sa bagnole sous la pluie en chantant de manière guillerette, pas d'affolement : ce n'est que moi.

samedi 24 août 2024

Dormir comme Westley

Je ne vous apprends sans doute rien en vous disant que dans l'hémisphère Nord, où je vis, en août, c'est l'été.

Très longtemps, l'été m'a posé un problème logistique important ; en effet, quand les températures sont supportables, je dors avec la couette sur la tête. Cela procure un petit caisson d'isolation bruit et lumière parfaitement cosy.

Ben oui, mais l'été, avec la couette sur la tête, on étouffe.

Pendant des années, j'ai été d'autant plus emmerdée qu'avec les fenêtres ouvertes, il y a encore plus de bruit et de lumière que d'habitude, et que je me retrouvais donc alternativement à mourir de chaud ou à être dérangée en permanence.

Jusqu'à cette année, où l'évidence a fini par me sauter à la figure : il n'y a qu'à trouver une solution pour boucher les yeux et les oreilles sans réchauffer quoi que ce soit d'autre !

Depuis, je me fourre un Tshirt noir sur le haut de la tronche avant de m'endormir, et c'est marre.

Voilà comment on se retrouve à dormir comme Westley, les trous pour les yeux en moins.

 

On voit un homme blanc en gros plan, il porte un bandeau noir sur la tête et un masque noir autour des yeux. C'est Westley, un personnage de Princess Bride.

jeudi 23 mai 2024

Le passage à niveau

Sur le chemin que je prends pour aller au boulot à vélo, il y a un passage à niveau. Il n'est pas souvent fermé mais quand il l'est, c'est pour un moment ; sur cette voie circulent des trains de marchandise, longs et lents.

Je pourrais passer ailleurs, bien sûr, mais pas sans un détour d'un ou deux kilomètres pour lequel je n'ai clairement pas le courage. Une fois tous les quinze jours en moyenne, la barrière est fermée, les véhicules à deux roues se massent devant, et les gens qui sont dessus attendent.

Attendent, et se sourient.

Je ne vais pas vous vendre un rêve : il y a pas que de la complicité joyeuse dans ces moments, il y a parfois de l'agacement partagé, surtout le matin quand les dix ou quinze minutes d'attente (lilloises, pas marseillaises : j'ai déjà chronométré !) peuvent mettre les gens vraiment en retard. Tout de même, le plaisir de voir qu'on n'est pas seul·e à attendre côté bande cyclable (en quatre ans de vélotaf, je vois le nombre de gens amassés devant le passage fermé augmenter doucement, et cela me contente).

Ce matin, en particulier, les chevaucheureuses de deux-roues divers et variés (trottinettes électriques ou non, vélos de course, VTT, vélos cargo... Styles et couleurs bigarrées !) avaient le sourire en regardant, sur le trottoir à côté de nous, un jeune père faire des aller-retours nerveux avec sa poussette, avec le visage concentré de qui sait que s'il s'arrête plus de cinq secondes, le bébé va se réveiller.

Un bon dix minutes, la barrière s'est ouverte, et nous avons toustes pu repartir en emportant une image de douceur.

jeudi 23 février 2023

La légende de l'homme impassible

Je le savais, pourtant : assister au spectacle de stand-up du sorcier était une erreur.

Il faut dire qu'il était exceptionnellement nul en stand-up. Merveilleux sorcier, vraiment, il savait manipuler la magie comme personne, lancer des sorts d'une précision millimétrique, mais comme comique : nul.

Et moi ? Moi, il faut bien le dire, je perdais toujours au poker. Mon visage reflétait mes pensées et mes sentiments comme l'eau d'un lac reflète les nuages un jour de calme plat.

J'ai essayé de me forcer à rire. Je pense que c'est ça qui l'a fait exploser.

Il m'a hurlé à la figure que pour être délivré, il faudrait que j'assiste à un million de spectacles que j'aimerais sans rien en montrer.

C'était il y a 200 ans.

Je ne m'en tire pas si mal, au fond. Je ne peux pas mourir avant d'avoir atteint le million. D'accord, quand je ne suis pas au spectacle je fais le ménage et la cuisine chez le sorcier, mais ce n'est pas la fin du monde. Je pense pouvoir encore faire durer le plaisir un siècle ou deux. En plus, je me suis drôlement amélioré au poker.

Il y a quelques jours, Sacrip'Anne l'a aperçu au spectacle de Drag Race France. Dans les commentaires, Orpheus a révélé avoir vu quelqu'un comme lui au concert de LilNasX. Si vous aussi avez envie d'écrire son histoire, vous pouvez le faire puis mettre le lien sous le billet de Sacrip'Anne, et taguer #LHommeImpassible sur les réseaux sociaux pour qu'on retrouve votre texte !

mercredi 15 février 2023

Anna contre le docteur Bip

Je suis plutôt sensible au niveau auditif ; je déteste les bruits forts, et si je veux me concentrer, il vaut mieux que je sois dans une atmosphère calme ou dans un brouhaha relativement constant, et surtout sans paroles que je puisse reconnaître comme telles.

Avec le temps, j’ai tout de même réussi à m’habituer à beaucoup d’éléments que je jugeais insupportables auparavant, un seul demeure un coup de marteau inévitable sur mes nerfs : les bips.

Je hais les bips.

Franchement, durablement, inexorablement, je hais les bips.

Et je mesure rarement à quel point, sur ce sujet, je suis différente de la majorité de mes contemporain·es qu’à la médiathèque.

Laissez-moi vous planter le tableau. Là où je vais emprunter des livres, on n’a plus de bureau de prêt avec des humain·es : tout se passe avec des automates. Il faut mettre sa carte sur la zone prévue, puis poser ses livres un à un sur une autre zone, elle aussi indiquée par un autocollant.

Une fois que la machine a reconnu la carte, elle n’en a plus besoin, ce qu’elle indique par un bip. Puis plusieurs bips. Puis autant de bips qu’il faudra pour qu’on reprenne le sésame.

Personnellement, je ne la laisse même pas biper une fois : dès que l’écran indique que mon compte est ouvert, je retire ma carte.

Malheureusement, un bon nombre de personnes laissent leur carte tout au long de la transaction.

Bip. Bip. Bip. BIP. (Le volume n’augmente pas, c’est mon agacement qui explose).

Certes, certaines de ces personnes sont peut-être malentendantes et n’ont aucune idée de ce qui se passe. Vu le nombre, néanmoins, je doute fortement que ce soit le cas de toutes. Il ne me reste donc qu’à déduire que la plupart des gens supportent très bien qu’on leur bipe dans les oreilles.

Voilà pourquoi j’évite autant que possible les heures de pointe à la médiathèque : les gens, je pourrais faire avec, mais les bips, pas moyen.

mardi 23 août 2022

Écrire des cartes

Je ne rappelle plus quand j’ai commencé : c’est là, c’est tout. J’écris des cartes.

Deux fois par an, tout près du nouvel an et des vacances d’été, je commence par faire une liste. À qui envoyer une carte cette fois-ci ? Les décisions ne se justifient pas, elles se nourrissent de l’état de la relation entre moi et mon/ma destinataire, de ma jauge d’énergie aussi.

Ensuite, je regarde si j’ai déjà des cartes (ça peut être le cas pour la nouvelle année) ou pas (c’est toujours le cas pour l’été). Il est souvent temps d’en choisir, en ayant parfois en tête, pour une carte particulière, le nom de la personne à qui je la destine.

Suit la phase d’écriture. Je varie toujours ce que j’écris, même quand les destinataires ne se connaissent pas. Je ne fais pas de grande littérature, le but étant plutôt de composer quelques mots en rapport avec ce que je vis à cette période, ou des souhaits.

À chaque carte correspondra son enveloppe, adresse soigneusement recopiée depuis le carnet qui m’accompagne depuis plus de dix ans.

Quand on n’est pas chez soi, la chasse aux timbres peut se révéler plus pleine d’embûches que prévu, et les délais postaux assez frustrants. S’armer de patience. Se rappeler que même si les cartes arrivent tard, ce sera une petite joie pour chaque personne qui en reçoit une.

On me dira qu’à l’époque des SMS et des emails, je prends bien du temps pour envoyer des nouvelles assez succintes. Peut-être ; je suis néanmoins persuadée qu’on n’a en général pas le même plaisir à recevoir une carte papier, qu’on pourra stocker, aimanter sur le frigo, relire, qu’à recevoir un texto ou un mail.

Et voilà. J’écris des cartes.

jeudi 23 décembre 2021

Dance me, musique de Leonard Cohen

Leonard Cohen, c’est pas compliqué, je l’ai aimé avant de savoir qu’il existait ; mes oreilles ont été nourries par Graeme Allwright, qui a traduit ses textes et chanté ses chansons en français, magnifiquement, mille grâces lui soient rendues.

J’ai grandi, vieilli, découvert Leonard Cohen en VO, et je suis tombée encore plus amoureuse de sa musique et de ses paroles - douces ou brutales, poétiques toujours. Une petite partie de mon coeur pensait que je le verrais un jour sur scène, même si vu son âge, cela devenait de moins en moins probable.

Puis il est mort, bien sûr.

J’ai donc cru rêver le jour où j’ai ouvert le programme d’une salle de spectacle et que j’ai lu “Dance me”, avec la photo d’un type au chapeau très reconnaissable.

Il ne s’agissait pas, comme je l’ai d’abord cru, de reprises de Cohen, mais d’un spectacle de danse moderne sur ses musiques, par les Ballets Jazz de Montréal.

Je ne vous cache pas que j’ai hésité, parce que je ne connais à peu près rien à la danse. Mais Cohen !

J’ai pris des places.

Je déplore mon manque de vocabulaire pour décrire ce que j’ai vu ce jour-là. Je ne peux que dire le bonheur d’entendre les musiques s’enchaîner et de voir les corps et les lumières y répondre, les magnifier.

Quelques vidéos sont disponibles, pas très représentatives de mon point de vue, je vous laisse chercher si vous êtes tout de même curieux·se. Si ce spectacle passe tout près de chez vous et que vous aimez Leonard Cohen, je vous le conseille chaudement.

lundi 6 décembre 2021

Un moment de grâce

Ce jour-là, je suis avec Clément et Kyllian.

Ils sont tous les deux en troisième, nos rapports sont très différents. J’ai été la prof principale de Clément en cinquième, il m’appréciait beaucoup alors et semble se le rappeler. Kyllian, lui, vient d’arriver dans mon collège, il cherche souvent les limites.

Nous lisons un poème. J’explique la différence entre la litote, qui dit le moins pour dire le plus, et l’euphémisme, qui cherche à adoucir une réalité dure.

Clément me regarde et me dit à quel point il déteste les euphémismes depuis la mort de sa mère un an plus tôt.

Je le regarde aussi, j’accueille ce qu’il me dit, et il commence à raconter, le départ à l’hôpital, la mort, sans possibilité de se revoir. C’est dur pour lui, j’ai l’impression qu’il n’a pas grand-monde à qui en parler. Peu à peu, je le sens se relâcher, soulagé d’être écouté dans sa peine si crue.

Kyllian est toujours là, à côté de nous. Presque toute mon attention passe à écouter Clément, ce qui me semble plus important. Je suis accroupie entre eux, tournée vers Clément, puis je m’assieds sur le sol pour épargner mes hanches. Kyllian se lève, va me chercher un siège, sans que je lui aie rien demandé. Je remarque alors qu’il me regarde avec une intensité nouvelle, comme s’il me voyait pour la première fois.

Quand Clément a fini, Kyllian me raconte aussi, les différences entre son ancien collège et l’actuel, ce qu’il apprécie, ce qui le perd un peu. Je l’écoute.

Je ne vais pas vous vendre un faux miracle : Kyllian n’est pas devenu un élève modèle. Pourtant, les choses ont changé entre nous. J’ai offert de l’empathie à Clément qui en avait tant besoin, elle nous a profité à tous les trois.

mardi 29 décembre 2020

2020 à vélo

Au début de l’année 2020, j’étais une cycliste enthousiaste, mais seulement à la campagne. C’est là que j’ai grandi, c’est là que j’ai appris à faire du vélo. Par contre, en ville, mes quelques expériences m’avaient laissée terrifiée. J’étais donc cycliste à la campagne (pendant les vacances annuelles, quoi) et piétonne (avec l’aide du métro) en ville.

La pandémie est passée par là, je pense qu’il est inutile que je fasse un dessin à qui que ce soit. Après le premier confinement, quand le collège où je travaille a rouvert ses portes, j’ai pris le métro, une fois, et j’ai failli avoir une crise d’angoisse. Les gens étaient près, trop près, je ne pouvais plus, comme je le faisais avant, plonger la tête dans un livre et ne l’en ressortir qu’à mon arrêt.

J’ai donc fait prendre l’air à mon vélo en ville, avec une belle trouille les premières fois, puis en prenant de l’assurance. J’ai appris à choisir mon itinéraire en fonction de la largeur de la rue et du nombre de tournants à gauche (le moins possible), plutôt que prendre l’option la plus courte. J’ai équipé mon biclou : rétroviseur (qui à mon avis devait être de série sur les vélos de ville), éclairage sur les roues pour être bien visible même dans le noir, sacoches pour le matériel du boulot, autocollants réfléchissants un peu partout.

Vacances d’été non comprises, j’ai été travailler à vélo pendant à peu près six mois.

Étonnement numéro un : l’effet sur ma forme a été fort et rapide. Au bout de trois semaines, le rapport de vitesse qui était celui que j’utilisais par défaut est devenu celui que j’utilisais pour monter le pont, et j’arrivais au travail de moins en moins rouge et essoufflée.

Étonnement numéro deux : avec un bon itinéraire, un rétro et de quoi être très visible, on arrive à se sentir raisonnablement en sécurité sur un vélo dans ma ville (en tout cas plus que dans un métro bondé où un bon tiers des usager·es ont le masque baissé). Les pistes cyclables ne sont pas assez nombreuses et il faudrait vraiment trouver un moyen de décourager les gens qui se garent dedans, même pour deux minutes, parce que les moments où on s’insère dans la file des voitures sont probablement les plus dangereux. La situation n’est pas parfaite, mais elle est tolérable.

Étonnement numéro trois : à part les jours où il gèle (trop dangereux, la peinture des pistes cyclables les rend glissantes comme des miroirs avec le plus léger verglas) je peux faire du vélo dans ma ville par tous les temps, à condition d’être bien équipée. Le pantalon de pluie est indispensable en cas de drache et les gants pas du luxe pour le début du trajet quand il fait frisquet, mais, comme le disent les nageurs en piscine, une fois qu’on est dedans, elle est bonne. L’activité physique réchauffe suffisamment pour que je n’aie même pas besoin d’un gros manteau (un imperméable me suffit).

Le bilan est nettement positif, je n’envisage plus de reprendre le métro de manière quotidienne, même après la pandémie. Cette saleté m’aura au moins apporté un peu de positif.

mercredi 16 septembre 2020

En trois temps

Quand on s’est rencontrées, j’étais jeune embauchée par notre employeur commun, et toi, tu travaillais là depuis bien des années. Tu m’as appris une bonne partie de ce que je devais savoir pour bosser efficacement, et on s’est vite plu : j’aimais ta franchise (quand on avait un problème avec toi, pas de souci, on le savait), et ta générosité qui te poussait à aider chaque personne qui en avait besoin, peu importe sa manière de se comporter avec toi auparavant. On riait des mêmes choses.

La première fois que j’ai appris ta mort, c’était juste avant de donner un cours, en lisant le SMS d’une amie commune. Je crois qu’elle ne m’a pas appelée parce qu’elle ne pouvait pas compter sur sa voix. J’ai vacillé un peu, et demandé à mes collègues de me raconter une histoire drôle, vite, parce que je ne voulais pas sangloter devant mes élèves.

On a travaillé dans le même bureau, avec bonheur ; non seulement on s’entendait très bien, mais on avait les mêmes préférences concernant le chauffage et l’aération, ce qui est plutôt critique quand on partage un espace. On mangeait ensemble de temps en temps, on se confiait beaucoup. Puis j’ai décidé de changer de métier, et je suis partie, officiellement pour me former pendant un an, officieusement sans aucune intention de revenir. On s’est promis de rester en contact, parce que depuis longtemps nous n’étions plus simplement des collègues, nous étions des amies. On a continué de se voir, de manger ensemble, de s’envoyer des nouvelles.

La deuxième fois que j’ai appris ta mort, c’était par mail, par une deuxième amie commune qui avait envoyé les détails pratiques à tous ceux et toutes celles qui te connaissaient bien. Mon homme n’était pas rentré, les enfants étaient là, j’ai pris note très vite puis j’ai éteint mon ordi.

En début d’année, tu m’as dit que tu avais un cancer. Déjà bien étendu. Connaissant ton caractère, je savais que tu allais faire de ton mieux pour envoyer le crabe ad patres, mais je savais aussi que ce serait difficile. Là-dessus, le coronavirus a pointé son nez, et vu l’état de ton immunité, on n’a pas pu se voir avant l’été. Ce jour-là, on a passé quelques heures ensemble, paisibles, mais en partant je me suis dit que ce seraient peut-être les dernières.

La troisième fois que j’ai appris ta mort, mon téléphone a sonné, c’était une troisième amie commune. Elle m’a demandé “comment ça va ?” d’une toute petite voix, j’ai compris qu’elle savait aussi. Alors nos larmes ont coulé de concert.

lundi 30 septembre 2019

Se réchauffer le cœur

Un papillon noir et rouge sur des feuilles vertes
Photo de Johann Seidl

 

Parfois, en septembre, qu’il fasse gris ou pas dehors, il fait gris à l’intérieur. Les obligations s’accumulent, on a le cœur morne, la sensation mordante de ne jamais en faire assez alors même que le corps crie qu’on en fait trop.

Ces jours-là, quand on a de la chance, tombe dans nos oreilles une merveille comme celle-là.

D’abord la flûte vient nous chercher là dans notre lourdeur, mesurée, seule, presque hésitante. Puis elle prend de l’assurance, déroule le thème. Elle est rejointe par quelques autres instruments, toujours mesurés, un peu lents, tendres peut-être.

Ensuite, vers une minute trente, d’autres instruments s’ajoutent encore, le thème est rejoué, autrement, on sent un peu de courage animer notre souffle.

Alors, vers deux minutes quarante, la rythmique prend le dessus, l’air se fait danse, enfin, et on sentirait presque nos pieds s’agiter, on retrouverait soudainement l’envie de bouger sans but pratique, juste pour la joie de le faire.

Jusqu’à la fin du morceau on peut savourer cette sensation délicieuse, écouter cette musique au nom de papillon.

Puis, si on a la chance de posséder l’album, on peut sauter la plage suivante pour prolonger la joie en sautillant, métaphoriquement ou pas, sur Crowley’s Reel(Un).

Une mienne amie qui étudiait la musicothérapie m’a expliqué un jour que simplement passer de la musique joyeuse à quelqu’un de triste ne suffisait pas à lui égayer l’humeur, qu’il fallait prendre les gens là où ils se trouvaient avant de les emmener où que ce soit. C’est exactement ce que Red Admiral Butterfly fait pour moi.

Notes

(Un) Bonus : si vous aimez De bons présages/Good Omens, vous pouvez imaginer qu’on a écrit cet air pour votre démon préféré.

jeudi 11 juillet 2019

Voilà, c'est fini

photo d'une salle de classe sans personne
Photo de Feliphe Schiarolli

J’ai remis ma tablette aux paramètres usine, je l’ai rendue, ainsi que ma clé, mon badge.

J’ai sorti de mon sac mes feutres de secours, mes stylos pour corriger, le carnet qui me servait à noter le déroulé prévu pour chaque cours, les choses à faire ou à vérifier pour le suivant.

J’ai gardé les trombinoscopes et jeté presque tout le reste.

J’ai gardé les fiches de bilan de l’année, pour préparer les progressions de l’année prochaine.

J’ai posé dans un coin de mon bureau la pile de livres à lire, d’articles à surligner, annoter.

J’ai téléchargé la version électronique d’œuvres que je pense utiliser l’année prochaine.

J’ai rêvé du boulot pendant quelques jours, puis dormi comme une brique, pour tenter de solder la fatigue de l’année.

Je pars en vacances une semaine, sans rien emporter qui me rappelle mon travail.

Quand je rentrerai, il sera temps d’établir un plan d’action, de décider à quel rythme travailler pour préparer l’année suivante.

Aujourd’hui, ma première année scolaire comme enseignante est finie.

dimanche 3 mars 2019

Les cartons

Ils sont venus un matin, et ils ont tout emporté.

Deux ans que je me disais que je devais les appeler, que le nombre de cartons qui s’entassaient dans la maison croissait joyeusement, que les vêtements enfantins trop petits qu’ils contenaient ne servaient à personne et que c’était triste.

Il y a deux semaines, enfin, j’ai appelé. Vu le volume que j’avais à proposer, ils n’ont fait aucune difficulté pour se déplacer.

Ils sont venus, et ils ont tout emporté.

Je m’attendais à ressentir du soulagement à l’état pur, une grande joie de voir l’espace dégagé ; ce ne fut pas le cas. Au soulagement indéniable se mêla un peu de chagrin de voir partir les fidèles compagnons qui avaient jadis protégé mes enfants du froid.

Alors, en donnant un coup de main aux gars qui les portaient jusqu’au camion, je leur ai silencieusement souhaité bon vent, continuez à faire votre boulot et à couvrir d’autres petits que les miens.

lundi 23 juillet 2018

Petits bonheurs de rangement en bibliothèque

  1. Mettre de la musique et ranger en se trémoussant et en chantant
  2. Rire bêtement en rangeant des cotes “ASS” ou “CUL” (oui, j’ai le ricanement bilingue)
  3. Murmurer “Eviv Bulgroz” devant une cote “ZOR”
  4. Faire avec ses collègues le concours du titre le plus bizarroïde
  5. Ranger à la perfection un rayon très dérangé
  6. En profiter pour désherber un peu
  7. Finir une rangée, demander au collègue le plus proche “on fait quoi maintenant ?” et entendre “ça y est, on a fini !”
  8. Contempler son travail avec le sentiment du devoir accompli : ici l’usager trouvera ce qu’il cherche. Au moins jusqu’à demain.

mercredi 13 juin 2018

Le surligneur

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Photo de Jazmin Quaynor

Quand j’étais jeune fille et que j’étudiais, je ne connaissais pas l’usage des surligneurs. Je gardais le silence en voyant d’autres étudiants les utiliser à tour de bras, mais intérieurement, je considérais ces feutres fluo comme des instruments du diable : de quoi défigurer l’ami d’entre les amis, un livre. Quel genre de sauvage fait ça ? Il y a un cercle de l’enfer réservé à ceux qui commettent ce genre de crime, non ? Attendez, je demande à Dante.

À l’époque il me suffisait de lire pour retenir ce que je souhaitais retenir, et je ne connaissais pas ma chance.

Avance rapide de quelques années, j’ai repris mes études. Je suis plus vieille qu’autrefois, je suis aussi bien moins disponible mentalement, famille oblige. J’éprouve donc plus de difficultés à retenir ce que je lis simplement en le lisant. C’est alors que je découvre à quoi sert le surligneur.

Est-ce que le surligneur est laid ? D’un point de vue strictement esthétique, je dirais toujours que oui. Mais d’un point de vue intellectuel, c’est un instrument bien plus riche qu’il n’y parait. Il permet de repérer ce qui est essentiel dans un texte, ce qu’on décide de retenir. Il permet de le matérialiser, non seulement par la couleur, mais aussi par le geste de la main sur le papier. Il permet à un livre banal de devenir son livre, celui qui a fait l’objet d’un traitement spécial, et il permet quand on y revient d’aller tout de suite à l’essentiel.

Par contre, entendonc-nous bien : le paragraphe précédent ne concerne que les bouquins qu’on possède. J’ai demandé à Dante, et le cercle de l’enfer dont je supputais l’existence ? Il est réservé aux vandales qui surlignent les livres de bibliothèque.

lundi 5 mars 2018

Nickel chrome !

Earrings by Petar Petkovski
Earrings by Petar Petkovski

Il y a quelques mois, des rougeurs au niveau des oreilles m’ont fait craindre une allergie au nickel. Les semaines qui ont suivi, je n’ai porté que les paires de boucles d’oreilles dont j’étais sûre qu’elles n’en contenaient pas, la vendeuse me l’ayant assuré. Après avoir quelque peu procrastiné, j’ai fini par acheter le petit kit qui me permettrait de tester toutes mes boucles d’oreilles, pour me débarrasser de celles qui contiendraient du nickel.

Je me suis installée dehors, pour éviter de trop respirer les produits chimiques du test, et j’ai étalé sur la table de jardin les bijoux incriminés. Le contrôle est assez amusant à faire ; il faut mélanger sur un coton-tige quelques gouttes de chaque produit, et frotter ledit coton sur la surface à tester pendant une trentaine de secondes. La solution vire au rose en présence de nickel.

J’ai mélangé soigneusement, frotté méticuleusement.

Heureusement pour moi qui adore les boucles d’oreilles, très peu de mes bijoux chéris contenaient du nickel, et sur les quelques paires qui ont réagi la plupart permettaient sans souci de récupérer le bijou en changeant seulement le fermoir.

Encore plus heureusement pour moi, je ne suis pas allergique au nickel. Parce que les boucles qui ont fait réagir le produit le plus rapidement étaient justement celles que j’avais portées pendant des semaines avant de faire le test.

mercredi 3 janvier 2018

Reprendre

Hard Work, by Andrew Neel (Unsplash)
Hard Work, par Andrew Neel

En septembre, j’ai repris mes études. 

Il y a une petite quinzaine d’années, j’ai quitté la fac, avec un diplôme qui me permettait d’exercer le métier que je visais, avec plein d’espoir et d’allant. J’y reviens aujourd’hui, dans les mêmes locaux, avec des années en plus, des enfants en plus, et je vise un métier différent. Non que le premier m’ait déçue , non. Mais la difficulté de trouver un autre emploi alors que je m’encroûtais dans celui où j’étais, mais l’envie de faire autre chose, de développer des qualités en moi que je ne soupçonnais pas il y a quinze ans, tout cela m’a poussée à faire un nouveau choix. 

Retrouver la fac, dont les locaux n’ont pas beaucoup changé, et où il fait toujours aussi froid l’hiver. Au début j’ai ressenti des émotions très fortes et un peu étrangères à ce que je vivais, j’ai fini par comprendre que c’était l’effet madeleine, que retrouver presque identiques les lieux où j’étais quand ma mère est morte, puis quand j’ai rencontré mon homme, tout cela faisait remonter à la surface des souvenirs ressentis plus que pensés. 

Retrouver la fac et ses contraintes, auxquelles je ne peux plus répondre comme il y a quinze ans ; une vie de mère et de femme amoureuse n’est pas une vie de jeune femme amoureuse. Il a fallu trouver de nouvelles réponses aux questions que je connaissais déjà, de nouvelles façons de travailler. 

Retrouver la fac et rencontrer des jeunes. C’est drôle parce que je suis sûre qu’il y a quinze ans la fac était fréquentée par des gens, rien de plus, et maintenant c’est bourré de jeunes. Heureusement que beaucoup d’entre eux supportent joyeusement mes cheveux blancs et mon humour de traviole. 

Retrouver la fac, pour un an au moins. Éspérer en sortir avec un autre diplôme, en route pour un autre métier. Croire que je pourrai y trouver de la joie et en donner aussi. Penser que les chemins les plus droits ne sont pas forcément les meilleurs. 

vendredi 29 décembre 2017

Le thé

Teapot by 童 彤
Teapot by 童 彤 

Les boules à thé, c’est mon père qui les a choisies pour moi il y a bien longtemps. 

La théière est arrivée dans un joli paquet porté par ma sœur.

On m’a offert le thé l’année dernière. 

Les tasses sont presque toutes des cadeaux. 

Il ne manquait que la petite soucoupe pour poser la boule à thé, celle que j’ai trouvée bien emballée à Noël : aujourd’hui mon thé n’est plus que gratitude. 

vendredi 1 décembre 2017

Les chaînes pour chaussures, ou À pas de yak

Là où je vis, l’hiver 2012-2013 a été particulièrement neigeux. La neige est tombée souvent, et des températures basses l’ont préservée sur les trottoirs, martelée par des milliers de pieds, verglacée au possible. Pendant les semaines de janvier où il a fait le plus froid, la neige n’a pas été la seule à choir.

C’est après ma troisième chute, alors que j’employais un langage vigoureux au sujet du climat hivernal et des gens qui ne déneigent pas leur trottoir, qu’une bonne âme m’a informée de l’existence d’un machin dont je n’ai pas trouvé le nom officiel (en a-t-il un ?) et que j’ai instantanément décidé d’appeler des chaînes pour chaussures.

photo des chaînes pour chaussures

C’est une structure en plastique souple à adapter sur ses chaussures. En-dessous, deux croix entourées d’une spirale en acier sur laquelle on marche. Je m’en sers à chaque chute de neige depuis début 2013, et voilà ce que j’en pense.

Je les ai testées en ville, sur de la neige fraîche, de la neige verglacée, et sur un verglas peu épais mais très glissant (suite à une pluie verglaçante qui avait transformé les trottoirs en miroirs). À chaque fois, je n’en ai pas cru mes pieds. La spirale en acier mord sans problème dans la glace, et on marche normalement. Pas de chute, pas de douleur aux cuisses ou au dos à force de se tenir comme un pingouin. Le gros avantage de ces engins comparés à des crampons est qu’ils ne s’abîment pas quand on marche sur un trottoir déneigé. On les sent un peu, mais ce n’est pas très gênant.

Ils sont simples à mettre sur ses chaussures. Il faut juste poser le côté avant sur le devant du soulier puis tirer sur l’arrière pour les passer derrière le talon (il en existe plusieurs tailles, chaque taille correspond à plusieurs pointures). Ils s’enlèvent aussi très facilement, et c’est un point important. En effet, ce qui est très pratique sur la glace et peu dérangeant sur le bitume devient casse-gueule sur le carrelage, il faut donc les enlever avant d’entrer dans un bâtiment.

J’ai porté mes bidules sur des bottines et des baskets. Les baskets m’ont semblé plus confortables ; avec une semelle souple, on sent moins la spirale sous ses pieds quand on marche sur terrain dégagé. Évidemment, l’avantage va tout de même aux bottines en cas de grosse couche de neige.

Les chaînes pour chaussures ont trouvé leur place dans mon sac, et ne le quitteront pas tant que je n’aurai pas besoin de les remplacer par des lunettes de soleil. La manœuvre inverse se fera sans doute fin octobre. La marque des miennes est Yaktrax, mais je pense qu’il existe des alternatives. Maintenant, à vous de jouer pour sauver vos coccyx !

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