En trois temps

Quand on s’est rencontrées, j’étais jeune embauchée par notre employeur commun, et toi, tu travaillais là depuis bien des années. Tu m’as appris une bonne partie de ce que je devais savoir pour bosser efficacement, et on s’est vite plu : j’aimais ta franchise (quand on avait un problème avec toi, pas de souci, on le savait), et ta générosité qui te poussait à aider chaque personne qui en avait besoin, peu importe sa manière de se comporter avec toi auparavant. On riait des mêmes choses.

La première fois que j’ai appris ta mort, c’était juste avant de donner un cours, en lisant le SMS d’une amie commune. Je crois qu’elle ne m’a pas appelée parce qu’elle ne pouvait pas compter sur sa voix. J’ai vacillé un peu, et demandé à mes collègues de me raconter une histoire drôle, vite, parce que je ne voulais pas sangloter devant mes élèves.

On a travaillé dans le même bureau, avec bonheur ; non seulement on s’entendait très bien, mais on avait les mêmes préférences concernant le chauffage et l’aération, ce qui est plutôt critique quand on partage un espace. On mangeait ensemble de temps en temps, on se confiait beaucoup. Puis j’ai décidé de changer de métier, et je suis partie, officiellement pour me former pendant un an, officieusement sans aucune intention de revenir. On s’est promis de rester en contact, parce que depuis longtemps nous n’étions plus simplement des collègues, nous étions des amies. On a continué de se voir, de manger ensemble, de s’envoyer des nouvelles.

La deuxième fois que j’ai appris ta mort, c’était par mail, par une deuxième amie commune qui avait envoyé les détails pratiques à tous ceux et toutes celles qui te connaissaient bien. Mon homme n’était pas rentré, les enfants étaient là, j’ai pris note très vite puis j’ai éteint mon ordi.

En début d’année, tu m’as dit que tu avais un cancer. Déjà bien étendu. Connaissant ton caractère, je savais que tu allais faire de ton mieux pour envoyer le crabe ad patres, mais je savais aussi que ce serait difficile. Là-dessus, le coronavirus a pointé son nez, et vu l’état de ton immunité, on n’a pas pu se voir avant l’été. Ce jour-là, on a passé quelques heures ensemble, paisibles, mais en partant je me suis dit que ce seraient peut-être les dernières.

La troisième fois que j’ai appris ta mort, mon téléphone a sonné, c’était une troisième amie commune. Elle m’a demandé “comment ça va ?” d’une toute petite voix, j’ai compris qu’elle savait aussi. Alors nos larmes ont coulé de concert.

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