La terreur contagieuse

Depuis le début du mois de septembre, je ne peux plus me promener dans ma ville sans rencontrer à pratiquement tous les coins de rue des mesures "anti-terrorisme".

Ici on fait ouvrir les sacs à l'entrée des magasins.

Là des parents ne peuvent plus accompagner leurs enfants jusqu'à leur classe de maternelle.

Là encore des issues de secours sont fermées à clé, et quand on fait remarquer la dangerosité de cette mesure, on entend que c'est pour éviter le terrorisme, comme si ça mettait fin au débat.

Pour commencer, je ne suis pas du tout convaincue que ces dispositions aient une grande efficacité. Les vigiles ne regardent le plus souvent que le dessus des sacs, pas jusqu'au fond, pas toutes les poches : on n'évite donc pas forcément le passage d'une arme. Les gardes eux-mêmes ne sont pas armés, et je ne suis pas sûre qu'ils pourraient faire une grosse différence quand il s'agit d'un petit magasin (éviter un déclenchement de violence à l'intérieur d'une grande structure comme un stade reste par contre souhaitable).

Les parents n'encombrent plus les couloirs des écoles... Certes. Mais ils restent massés près des portes ; le danger évité à l'intérieur existe toujours à l'extérieur. D'autre part, imaginez les problèmes de sécurité routière quand les trottoirs devant l'école sont un peu étroits et qu'il devient impossible d'y marcher, sans même parler de passer avec une poussette.

En ce qui concerne la fermeture des issues de secours, il est évident que le danger est bien plus grand quand elles sont fermées qu'ouvertes, ne serait-ce que parce que l'incendie est bien plus probable que l'attaque terroriste. Même en cas d'attentat, les issues de secours sauvent des vies.

Enfin, et c'est pour moi très important, toutes ces décisions nourrissent un climat de terreur. Comment vivre paisiblement quand plusieurs fois par jour, chaque fois qu'on conduit son enfant à l'école, qu'on veut entrer dans un magasin, qu'on passe devant la porte arrière d'un restaurant, on nous rappelle que "nous sommes en danger" (quitte parfois à augmenter le péril réel en prétendant en réduire un autre) ? À entretenir ce sentiment, on crée des populations apeurées qui risquent fort de se jeter dans les bras du premier totalitarisme venu pourvu qu'il leur promette la sécurité... On cultive aussi de manière pernicieuse le sentiment anti-Islam déjà très présent, et qui arrange les terroristes. Chaque fois qu'on rejette quelqu'un à cause de sa couleur de peau ou de sa foi, on nourrit le discours qui prétend que les musulmans (ou perçus comme tels) sont nos ennemis. Si eux-mêmes sentent que les blancs les considèrent comme des adversaires, comment éviter que certains décident de se conduire de manière hostile ?

Je refuse de vivre dans ce climat. Je refuse qu'on me mette en danger (risque routier, risque incendie) pour "me protéger". Je refuse qu'on me désigne à demi-mot un "ennemi" qui n'est que mon voisin. Je pense que si on veut vivre en paix, il faut construire la paix ; on ne vit pas en paix quand on se terre, métaphoriquement parlant, dans un bunker.

J'ai donc pris les décisions suivantes.

Dans la mesure où c'est possible, si on me demande d'ouvrir mon sac avant d'entrer où que ce soit, je me barre, et j'envoie plus tard une lettre expliquant ma démarche.

Si je repère une issue de secours fermée, je le fais remarquer aux personnes présentes en rappelant à quel point c'est dangereux, et aussi que les issues de secours ne sont pas en option quand on reçoit du public. Là aussi, j'enverrai des lettres.

Je continue de me comporter de manière normale avec les gens que je croise dans la rue, dans le métro, sans tenir compte de leur couleur de peau et de leur port - ou non - de signes religieux. J'interviens si c'est nécessaire, et tant que ça ne l'est pas, j'entretiens autant que je le peux les harmonies dans la musique de l'univers.

Je choisis de vivre en paix.

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