Blanche la blouse du kiné qui prend en charge mon grand fils. Pâles ses mots imprécis, beige le squelette qui orne son cabinet.
Blancs les murs de la psy qui s’occupe du plus jeune. Crème les chaises molles de la salle d’attente.
Blanches les boîtes des vaccins prévus pour demain. Blancs aussi les patchs anti-douleur à poser une heure avant.
Blanche enfin ma mine, comme par contagion.
Ce texte est ma participation à un défi d’écriture lancé sur Mastodon, tag EcritHebdo. Cette semaine, il fallait écrire décrire sa journée en couleur. À vous ?
Dans ma ville il y a :
Autos peu mélodiques
Métro automatique
Bus et vélos (ah, chic !)
Dans ma ville il y a :
Béton gris, briques rouges
Chauffées à l’infrarouge
Quelques arbres qui bougent.
Dans ma ville il y a :
Plusieurs bibliothèques
Cinémas, ludothèques
Et marchands de milkshakes.
Dans ma ville il y a :
Des gens plutôt sympas
D’autres qui râlent, ou pas
Et puis il y a moi.
Ce texte est ma participation à un défi d’écriture lancé sur Mastodon, tag EcritHebdo. Cette semaine, il fallait écrire un poème sur son village ou sa ville. À vous ?
Et puis après, en ouvrant la porte, elle pensa qu’une porte devait être ouverte ou bleue, et que la sienne était rouge.
À cette simple idée, elle sentit des gouttes rouler sur ses joues.
Les gouttes étaient des larmes, elle le savait parce qu’elles étaient salées, pas comme la pluie.
Que faire avec sa porte ni verte ni bleue ? La repeindre ? L’oublier ?
Et avec les larmes, que faire ? A-t-on le droit de pleurer quand on porte un masque ? Et comment faire s’il pleut dehors ? Refermer la porte avec soi dedans ?
Les pratiques managériales de mon antépénultième chef
Les discussions interminables qui aboutissaient invariablement à une impasse
La trouille que j’éprouvais parfois quand le téléphone sonnait
La poussière des bouquins qu’on ne prêtait pas assez souvent
Le rangement des ouvrages aux étiquettes décolorées jusqu’à l’illisibilité, tout près des fenêtres
Les couches, les couches, les couches
L’odeur de régurgitation sur l’épaule de mon aimé
Les cris au sortir du bain
Le regard torve de la psy pour qui clairement tout était ma faute, ontologiquement
L’angoisse des concours
Les dissertations
Les observations assassines de certains profs de la fac
Les remarques déplacées, souvent des mêmes
Le café dégueu de la cafétéria
Le crachotis du modem qui se connectait
La lumière qui baissait pendant l’attente du bus, m’obligeant à ranger mon livre
Le regard de certains membres d’un ancien club sur mes cheveux blancs
Microsoft Office
Les random dudes sur l’oiseau bleu qui venaient m’expliquer ma vie
L’impression de ne jamais être ou faire assez.
Ce texte est ma participation à un défi d’écriture lancé sur Mastodon. Cette semaine, il fallait “écrire des inventaires sur le thème du temps : choses qui doivent être courtes, choses qui ne font que passer, choses qui doivent prendre du temps…” À vous ?
Toutes les nuits, il rêve. Toutes les nuits, je l’entends rêver. Mon amant a le sommeil bruyant, et moi l’oreille fine…
Il murmure à minuit : “Ils seront ébaubis, ils vont voir ce qu’ils vont voir !”
Il marmonne à deux heures : “Mon adversaire est stupide, comment ses partisans peuvent-ils prendre tant de plaisir à l’écouter vitupérer ?”
Il sussure à quatre heures : “Conspué ! Ils m’ont conspué ! Comment ont-ils osé ?”
Au matin, je suis épuisé, mais je trouve tout de même la force de lui affirmer au petit déjeuner : “Toi, tu as encore rêvé que tu te présentais aux présidentielles.
- Exactement ! Comment le sais-tu ?”
Mon sourire se fait énigmatique ; je le laisse croire à mes mystérieux pouvoirs.
Ce texte est ma participation à un défi d’écriture lancé sur Mastodon. Cette semaine, il fallait “utiliser les mots vitupérer, conspuer, ébaubir.”
C’est ce que je me suis dit ce matin en regardant mes chaussettes. Je pratique une forme de magie assez peu commune, la magie chaussettière. Chaque matin, je plonge la main dans mon tiroir à chaussettes, à l’aveugle. J’enfile la paire que j’ai piochée sans la regarder. La journée est colorée par mes chaussettes, même, ce qui est souvent le cas, quand je porte des bottines et que personne ne les voit.
Quand je porte mes chaussettes jaunes avec des smileys souriants, je sais que rien n’entamera mon sourire.
Quand je porte mes chaussettes bleues avec des roses des vents, je peux être sûre de savoir où aller.
Quand je porte mes chaussettes orange avec des poulpes multicolores, la journée sera bizarre.
Quand je porte mes chaussettes noires avec des roses rouges, les amours seront belles.
Tous les dimanches je range les chaussettes que j’ai lavées pendant la semaine, et je remue le contenu du tiroir, pour garder la magie en vie. On croirait que cela assure une rotation régulière. Cela faisait pourtant quatre mois pleins que je n’avais pas trouvé sous mes doigts les chaussettes grises où figurent des cerisiers en fleur.
Jusqu’à ce matin.
Je ne sais pas ce que me réserve cette journée, mais il y a du renouveau dans l’air. Il était temps.
Ce texte est ma participation à un défit d’écriture lancé sur Mastodon. Cette semaine, le sujet était : “Ah tiens, les cerisiers fleurissent.”
Ma proprio m’a acheté quand elle était jeune fille. Je faisais partie d’un lot de débardeurs en coton, bretelles spaghetti. Elle les portait au-dessous de chemisiers ouverts, avec des jeans noirs. C’était une tenue parfaite pour elle alors, étudiante, en Lettres, plutôt décontractée. J’étais le débardeur noir, son préféré.
Une année plus tard, son père, voulant lui rendre service, a pendu un lot de vêtements dont je faisais partie pour les faire sécher. Malheureusement, il manquait d’expérience en matière de lessive ; il m’a accroché, trempé, par les bretelles. Quand la proprio m’a récupéré, mes bretelles s’étaient tellement allongées que j’étais devenu tout à fait importable comme vêtement, sauf à vouloir exhiber le haut de son soutien-gorge à tous les passants.
Elle a décidé de me convertir en sous-vêtement. Elle m’a porté pendant des années au-dessous de ses pulls, ses T-shirts à manches longues. Pas loin de vingt ans. Je l’ai accompagnée quand elle a passé ses premiers diplômes, ses premiers entretiens d’embauche, quand elle a vécu ses premières heures de jeune professionnelle. Je l’ai vue se marier, devenir mère, retourner à la fac pour démarrer une nouvelle carrière. Je lui ai été fidèle tout ce temps, bien caché contre sa peau. On a vieilli ensemble, mon tissu de plus en plus fin, ses cheveux de plus en plus blancs.
Depuis quelques semaines, je sentais que je m’amincissais trop au niveau des coutures. Avant-hier, quand elle m’a attrapé, on a entendu un énorme craquement ; elle a vu avec horreur le trou énorme qui s’était formé sur mon côté droit.
Elle m’a lavé avec d’autres vêtements, une dernière fois. Elle m’a dit que je serais un chiffon, dorénavant. J’attends qu’elle trouve l’envie de nettoyer des vitres. La connaissant, ce ne sera pas tous les quatre matins. Tant mieux, au fond ; j’ai bien mérité un peu de repos.
Tout a commencé très doucement. Devant mes yeux sont tombés deux ou trois rouages. Intriguée, je lui ai demandé des explications.
"On ne va pas en faire une pendule."
Au début ils n'étaient pas bien gênants, ces rouages. Puis ils se sont multipliés, et les ressorts sont apparus. Bientôt sur mon bureau il y avait un monceau de pièces en métal, au moindre faux mouvement ils me blessaient. Mon travail devenait difficile. Je suis allée lui en parler, bien sûr.
"On ne va pas en faire une pendule."
Plus tard sont venues les aiguilles. Dures à ignorer. Il disait que j'en faisais trop, que je comprenais mal, qu'il ne s'agissait pas vraiment d'horlogerie. Toujours la même phrase : "On ne va pas en faire une pendule."
Enfin j'ai vu choir en face de moi le cadran, le boitier.
Il y avait, enfin, de quoi en faire une pendule. Aussitôt que je l'ai assemblée, elle a sonné l'heure de tirer ma révérence.
La petite lumière rouge et le ronronnement de la cafetière répondirent à son geste.
Il sourit franchement.
Quand il est arrivé dans ce bureau, on y faisait le café tout les matins. Tout le monde se retrouvait vers onze heures pour boire une eau chaude, café, thé ou infusion ; on papotait, on riait. Tout n'était pas rose au boulot, loin de là, mais l'équipe se serrait les coudes.
Du temps a passé. Changement de chefs. Transition dure. Tout le monde en a pris pour son grade, individuellement. On a arrêté d'allumer la cafetière le matin, parce que le café finissait dans l'évier : chacun buvait nerveusement de l'instantané dans son coin. Il s'est dit que c'était dommage, mais que c'était comme ça, il faudrait bien faire avec. Ou plutôt sans.
Pourtant après des mois très pénibles, ses collègues ont recommencé à se parler. Doucement au début, quelques phrases le matin là où il n'y avait plus qu'un "bonjour, ça va" qui n'attendait pas de réponse. Puis, à la faveur de l'embauche d'une personne joyeuse, les fous rires sont revenus. Enfin, un jour, "pourquoi on ne se sert plus de la cafetière, au fait ?"
Il regarda le café couler. Les collègues viendraient bientôt le partager.
Que se passe-t-il quand on referme un livre ? Ô Fille-ma-fille, quelle question parfaite ! C’est le moment le plus intéressant !
Oui, ma Mieux-Aimée, j’en suis sûre. Tu crois que le moment le plus intéressant est celui où tu lis le livre, où tu suis les personnages dans leur histoire. Note bien, c’est un bon moment, un excellent moment, mais ce n’est pas le moment le plus intéressant.
Le moment le plus intéressant est celui où tu refermes le livre et où les personnages continuent leur vie dans ton histoire.
C’est le moment où Mémé Ciredutemps te rappelle fermement que le mal commence quand on traite les gens comme des choses.
C’est le moment où tu vois un ami bougon se transformer en Crafougna, où tu sens l’odeur des cigares des Hommes en gris à côté de ta voisine qui court tout le temps, où tu entends Bartimeus ironiser dans le creux de ton oreille.
C’est le moment où chaque personnage de chaque histoire que tu as lue s’invite dans ta tête, même pour un instant.
Vois-tu, Fille-ma-fille, c’est pour ces moments-là que je continue de lire. Pour la joie de vivre d’autres vies que la mienne pendant que je lis, et pour la richesse qu’elles m’apportent quand le livre est fermé.
Le salon dormait dans la pénombre. Les rideaux tôt tirés laissaient entrevoir la lumière rouge du crépuscule. La femme sur le canapé somnolait elle aussi. Sa journée de travail l'avait laissée dans un état second, nerf épuisés et corps électrisé. D'ordinaire elle trouvait le courage de bouger en entendant la concierge astiquer la barre de l'escalier, mais la concierge avait mis une affiche : elle était à l'opéra.
La torpeur envahissait son esprit, séduisante.
Son corps, lui, avait besoin de défoulement.
L'énergie qu'il dégageait semblait un bourdonnement aux oreilles de la concierge, qui n'était pas du tout à l'opéra. Elle était sorcière, et mettait son affiche à chaque fois qu'elle souhaitait pratiquer la magie en paix. Dérangée par le bruit, elle agita les mains; aussitôt le corps de la femme, laissant l'esprit se reposer sur le canapé, se leva, ouvrit la porte, descendit dans la rue et se mit à courir.
Sa foulée était puissante ; il se sentit revivre, débarrassé de l'esprit qui l'avait trop souvent forcé à l'immobilité.
Après une bonne heure de jogging, il remonta l'escalier, ouvrit la porte de l'appartement, et contempla la brume imprécise de l'esprit au repos.
Je suis entrée dans le métro en même temps qu'une classe de collégiens très excités, qui, je l'ai compris en écoutant le dialogue entre eux et leurs profs, allaient visiter un musée.
Ils riaient, se bousculaient, heureux de sortir de leurs murs, joyeux de sortir de la routine, pour une fois.
Ils étaient nombreux, bien sûr, et le métro cahotait un peu. Ils étaient trop nombreux pour se tenir tous aux barres verticales. Une jeune fille a tendu la main d'un air dubitatif, a réussi à attraper une barre au plafond ; son visage s'est fait radieux, elle a dit à sa copine : regarde, je suis grande ! et comme il manquait aux bras de ladite copine quelques centimètres pour la rejoindre, elle l'a enlacée pour l'empêcher de tomber.
On aurait dit un caneton sortant de son œuf, un oisillon donnant un coup de bec vers le haut, tout surpris de sentir sa coquille casser, et l'air libre, enfin.
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